dimanche 30 novembre 2008

Chevauchée fantastique

Devant mes yeux étonnés surgit tout à coup un être bizarre, l’air hagard et grimaçant.
Maculé de boue, le visage prisonnier d’un heaume des Temps modernes, cramponné au guidon de son terrible engin, il avance péniblement en zigzaguant, visiblement épuisé. L’homme et la machine ne font plus qu’un, soudés l’un à l’autre, pour la vie. Avec l’énergie du désespoir, il pédale machinalement, les jambes recouvertes d’une épaisse couche de terre noirâtre, tout comme le reste de son corps : dos, torse, fesses, bras, mains, visage, aucune parcelle de son individu n’a été épargnée par la gadoue. Bien difficile de définir la couleur de ses vêtements, de son vélo et même de sa peau : seul le bleu azur de ses yeux semble avoir échappé à cet assaut fangeux.
Tandis que l’étrange cavalier s’efface discrètement et que je le regarde s’éloigner inexorablement, un essaim d’acolytes déboule à présent : tout aussi noirs et méconnaissables que mon coureur solitaire, avec la hargne en plus, avec la hardiesse du peloton. C’est à croire que le grégarisme leur donne des ailes, à ces vététistes fantastiques !
Le chemin a retrouvé son calme mais les traces laissées par les pneus témoignent de l’invasion dont il vient d’être victime. Je lève le nez, renonce à compter les nuages puis reprends ma marche tranquille ; je suis prête moi aussi à patauger dans la gadoue, la gadoue, la gadoue…, à renouer un dialogue avec l’authentique, la matière palpable et à retomber en enfance : un plaisir vrai !

vendredi 21 novembre 2008

Prisonnier volontaire


Je t’ai retrouvé. Pris dans les filets de la Toile. Prisonnier volontaire, avide de te faire connaître… ou reconnaître. Tu avais disparu de la circulation depuis un bail, une éternité. Tu n’étais qu’un souvenir, un éclat de rire, un regard malicieux. Tu n’étais qu’un fantôme, surgissant parfois comme une voix d’outre-tombe. Tu étais un gamin, tendre, drôle, prévenant, l’ami rêvé qui jamais ne déçoit. Tu étais fidèle, sincère et frondeur. Longtemps, tu m’as donné des signes de vie, qui se sont raréfiés... pour disparaître définitivement. Enfin, presque définitivement. Car je t’ai retrouvé sur la Toile. Pris dans les rets de ce redoutable prédateur. Captif consentant, vieilli forcément. Suis-je heureuse de retrouver ton image ? Suis-je déçue d’avoir brisé une illusion ? Une vague nostalgique me submerge tandis que je fais front à mon écran : jamais Internet ne me volera mes amours enfantines.

samedi 15 novembre 2008

Rouge

L’encre rouge s’échappe de mon stylo comme le sang d’une plaie ouverte.

Elle tranche avec le blanc de la feuille, elle s’y enfonce profondément. Sans violence, mais de façon définitive, indélébile.
C’est le rouge sanction, le rouge couperet, celui que je m’oblige à apposer sur les copies, celui que les élèves attendent, celui auquel ils sont habitués depuis leur plus tendre enfance. Car ils l’attendent, le verdict. La note. Je me dois de répondre à leur attente. Je dois évaluer, jauger, juger. J’ai signé cette sorte de contrat avec eux et il me faut l’honorer.
Que cette exigence me pèse ! Mes élèves sont comme formatés, programmés pour être jugés. Cette encre rouge, pourtant fortement connotée, non seulement ils l’acceptent, mais ils la désirent ardemment. Souvent, je m’interroge sur ce décalage, sur ce fossé qui se creuse entre eux et moi. Que signifie au juste ce rouge sur leur copie ? Pas seulement une note, pas seulement une observation. Un besoin de reconnaissance ? La preuve que leur prose est lue et entendue ? Qu’ils ne se donnent pas du mal pour rien ? Je ne sais… peut-être pour toutes ces raisons à la fois…

L’encre rouge a coulé sur mes doigts. Elle s’infiltre dans ma chair comme le doute dans mon esprit.

vendredi 14 novembre 2008

Pourquoi ?

Pourquoi écrire, se demande à une juste titre une amie blogueuse ? J’avais plein d’idées sur la question jusqu’à ce soir. Des idées positives et constructives.
Ces idées, elles sont bonnes à jeter. De la foutaise.
Moi, je croyais que les écrits avaient une certaine valeur, qu’ils étaient le signe d’un engagement, l’équivalent d’une parole donnée, d’une parole d’honneur. Qu’ils étaient crédibles et fiables. Qu’ils étaient faits pour durer.
Je me suis trompée. Du moins, c’est que m’on explique aujourd’hui. « Ce que j’écris ne m’engage qu’au moment où je l’écris. Dès que j’ai levé la plume, mon texte ne vaut plus rien. Il est périmé. Je peux soutenir que ce que j’ai écrit il y a un instant n’est déjà plus valable. En entreprise, c’est comme ça. »
"En entreprise, c'est comme ça...". Aurais-je loupé une étape ? Les écrits professionnels, finalement, ne seraient-ils que du vent ? du dérisoire ? une imposture ?
Passerais-je mes journées à donner des conseils sur du rien ? sur du vide ? Mon boulot ne serait-il qu’une mascarade, une vaste fumisterie ?
Je ne peux me résoudre à répondre à ces questions. Je veux rester naïve, je veux croire au pouvoir des mots, même en entreprise.
J’y verrai peut-être plus clair demain. Moi qui ne crois pas aux dictons, je vais me laisser convaincre par celui qui raconte que la nuit porte conseil. Demain, il fera jour. Demain, j’y verrai sans doute plus clair. Demain me dira si mon texte de ce soir est caduc...

mardi 11 novembre 2008

La chute

Doucement, elle tourne sur elle-même. Lentement, elle entame sa descente, au ralenti. Légèrement, elle frôle la vitre, hésite un instant, semble se raviser, effleure le rebord de la fenêtre, puis se pose délicatement sur le goudron humide. Mes yeux, un peu hagards, un peu rêveurs, l’ont accompagnée dans sa chute. Sa rousseur, sa tonalité chatoyante me séduisent. Novembre, sombre et mélancolique, perd ses atouts un à un. Elle gît maintenant à mes pieds, penaude, tout étonnée de se retrouver là, devant la porte entrouverte. Elle se fige, semble me toiser, puis tout à coup se décide : elle franchit le seuil. Avant de tirer son ultime révérence, la feuille du vieux chêne tente une dernière expérience : s’inviter à l’intérieur de la maison et satisfaire sa curiosité. Tout l’été, elle y a songé. Elle a patienté jusqu’à l’automne, son vœu est enfin exaucé. Elle peut partir tranquille, maintenant…