mardi 29 avril 2008

La rage d'aimer

Pourquoi faut-il souffrir
Pour écrire d’aussi jolies choses ?
Pourquoi faut-il crier
Quand les autres se taisent ?
À quoi sert de hurler
Si la douleur est muette ?
À quoi sert de frapper
À une porte obstinément close ?
Faut-il mériter le bonheur,
Se hisser jusqu’à lui,
Et comme un vagabond,
Mendier les miettes d’un pardon ?
Faut-il veiller jour et nuit,
Subir les affres de l’insomnie
Pour tenter d’apprivoiser
Ce papillon indocile ?
Et même si ce droit au bonheur
Paraît aujourd’hui inaccessible,
Et même si à force de lutter,
Le corps et l’âme s’épuisent,
Il reste toujours, farouchement ancrée,
La rage de vivre et de dire l’indicible.

lundi 28 avril 2008

Alliance malencontreuse

Ce matin, le soleil se hâte avec lenteur, inondant le paysage de son obscure clarté. Le ciel, bas et lourd, crache son eau avec une tristesse quasi festive. À cette désolation céleste, je réponds par un silence éloquent. Je soupire, confusément contrariée par cette eau qui m’aspire à descendre au tréfonds de mes pensées. Plongée dans mes réflexions, j’écoute la musique du silence qui règne désormais en maître sur la campagne. La pluie, avec une douce violence, recouvre de son voile transparent tout ce qu’elle rencontre.

Décidée à sortir de ma torpeur et de ma rêverie stérile, je rentre me mettre à l’abri et allume mon poste de radio. Sans vraiment prêter attention au flot de paroles qu’il diffuse, je le laisse ronronner gentiment, quand tout à coup, deux mots aigres-doux, réapparaissent et claquent à mes oreilles : discrimination positive. Et moi qui croyais naïvement que l’oxymore était l’apanage des poètes…

mercredi 23 avril 2008

Les vilains chômeurs

Décidément, madame ANPE, vous ne changerez jamais ! Il fut un temps où nous nous côtoyâmes assidûment. Un temps pas si lointain, si je ne m’abuse… Un temps que les moins de vingt ans peuvent déjà connaître… Vous m’accueillîtes alors dans vos locaux si chaleureux et nous eûmes des conversations souvent exaltantes sur la précarité de l’emploi, les difficultés des entreprises, celles des salariés si chanceux ou encore celles des euphémiques «demandeurs d’emploi». Maintes fois, nous devisâmes gaiement entre amies, le sourire aux lèvres, les soucis en bandoulière. Nous évoquâmes même la possibilité d’une collaboration car vous m’auriez bien vue animer des ateliers… de recherche d’emploi ! Je dois bien l’avouer, vous aviez un solide sens de l’humour que je m’évertuais, ingrate que j’étais, à ne pas toujours partager. Nos relations furent donc courtoises et nos échanges fructueux mais ma situation de chômeuse resta longtemps pour vous un sujet embarrassant. Vous n’aviez vraiment rien à m’offrir et durant les longs mois que nous nous fréquentâmes, vous ne me fîtes aucune proposition. Oui, je maintiens, aucune ! Pas une seule «OVE» ! Vos offres n’étaient-elles pas «valables» naguère ? Trembliez-vous que je ne les trouvasse pas recevables ? Toujours est-il que vous ne jouâtes pas votre rôle vis-à-vis de moi et que je dus mener mes recherches toute seule.
Voyez-vous, madame ANPE, quand j’entends aujourd’hui que les vilains chômeurs qui oseront refuser vos offres si généreuses seront réprimandés, je ne peux m’empêcher d’ironiser. Pour ma part, j’eusse aimé me trouver devant cette alternative, accepter ou repousser vos offres. Mais vous ne m’en laissâtes pas le loisir.
Quant aux mesures punitives qui seront mises en place, il ne m’appartient pas d’en discuter le bien-fondé. Toutefois, j’ai une anecdote à vous conter. Je répondis, en février dernier, à une annonce parue sur votre site internet : un organisme de formation recherchait un professeur de français pour un mois. Vous souhaitiez une télécandidature. Soit ! votre vœu fut exaucé. Vous m’accusâtes réception de cette télécandidature, puis, la jugeant acceptable, vous me conseillâtes de prendre directement contact avec l’entreprise par e-mail. Ce que je fis avec empressement, vous me connaissez ! N’obtenant pas de réponse, je me permis de la relancer une fois, deux fois, trois fois… et de guerre lasse, je finis par capituler.
Je veux bien que les vilains chômeurs soient sermonnés, si faute il y a. Mais ne pensez-vous pas que parmi les employeurs, ceux qui n’ont même pas la décence de répondre, le soient aussi ? Je soumets cette question à votre sagacité, madame ANPE.

vendredi 18 avril 2008

Voiture 10

Brest, 8h48. Le train quitte la gare, s’ébranle paresseusement, fatigué sans doute à l’idée d’accélérer. Sa mollesse permet aux voyageurs de profiter quelques instants encore de la vue sur la rade. Après les derniers silos, les voiliers du port de plaisance… Les rayons du soleil lèchent les flots et s’offrent généreusement aux occupants de la voiture 10.
Chacun semble plongé dans ses pensées, dans une torpeur bienfaisante. Départ sans excitation, sans fièvre, sans tristesse, à l’image de ces amoureux qui se sont séparés avec une retenue presque suspecte.
Le soleil s’invite sans frapper, envahit largement le wagon et réchauffe les corps et les âmes. On prend ses aises, on s’installe sur les places restées vacantes, on s’étire péniblement en bâillant. Disciplinés, les téléphones se taisent et renoncent à vibrer. Même les moussaillons sont encore calmes, gagnés par la quiétude de la voiture 10.
Soudain, surgissant de nulle part, deux tignasses blondes débarquent sans crier gare ! La mère et la fille jettent leur dévolu sur deux sièges situés de l’autre côté du couloir en se chamaillant. Qui occupera la place côté fenêtre ? Le sujet est grave et mérite d’être abordé bruyamment.
À peine assise, la petite, qui rêvait certainement de ne rien faire, se voit imposer un quart de lecture… à voix haute. Et la mère de vociférer à la moindre hésitation de sa fille, de la reprendre à l’envi et d’en faire profiter toute la voiture 10 ! Et le manège de durer, de durer… jusqu’à l’assoupissement de la gamine, assommée par le verbiage incessant de sa mère.
De nouveau, ô miracle !, le silence est de retour, accueilli avec soulagement et gratitude par des voyageurs agacés mais polis. Ambiance feutrée, vieux os réchauffés par le soleil insistant, léthargie bienfaisante… Le train ronronne, content d’avoir enfin atteint sa vitesse de croisière.
Je ferme les yeux pour savourer la sérénité ambiante et trente secondes après, mes oreilles sont titillées par un bruit de papier froissé, vraisemblablement un paquet de chips qu’on ouvre sans délicatesse. La tignasse blonde a faim ! C’est alors que commence le ballet des scrunch-scrunch-scrunch, des doigts fouillant nerveusement le sachet, des mandibules qui s’activent, des incisives qui claquent…
« Ben, on n’est pas arrivé à Paris ! » soupire l’homme assis juste derrière moi…

dimanche 13 avril 2008

Humeur dominicale

Matin… serein ? train-train ? chagrin ? badin ou incertain ? Je cherche la rime et ne la trouve point !
Ah si… peut-être demain. Car demain sera lundi et avec lundi renaîtra... la vie !
Dimanche est singulier, je dirais même haïssable. Sa couleur est terne et son silence pesant. J’ai beau me répéter que ne rien faire, c’est déjà faire quelque chose, je n’arrive pas à me faire à l’idée que dimanche puisse être bénéfique !
Jour tristounet, plus délavé que pastel, dimanche m’ennuie. Ce n’est pas d’aujourd’hui, du reste, que dimanche me cause du dépit. Te souviens-tu, petite fille, de ces longs dimanches après-midi qui s’étiraient mollement, durant lesquels tu te demandais quand reviendrait ta maman ? Te rappelles-tu ces balades digestives, plus interminables encore que les déjeuners qui les avaient précédées ?
Dimanche d’avril, assis entre deux chaises, tu n’es ni beau ni moche et seules tes giboulées, aussi vivifiantes que soudaines, font pétiller la campagne et scintiller les flots ! Ton eau salutaire réveille les esprits léthargiques, les corps emmitouflés des promeneurs et ceux de leurs fidèles compagnons trottinant gaillardement à leurs côtés.
Le soir s’annonce enfin et tu consens, dimanche, à tirer ta révérence… Comme tu es venu, avec indolence, tu repars, décidé à en profiter jusqu’au bout. Tu vas céder ta place à lundi, souvent mal aimé, lui aussi… Et tu ris dans ta moustache ; pis encore, tu jubiles car tu le sais bien : dans une courte semaine, tu reviens !

mercredi 9 avril 2008

Isabelle

Elle était assise là, sur le fauteuil près du lit, pauvre chose recroquevillée, le regard fixe, les mains décharnées posées à plat sur ses cuisses maigres. Elle était vêtue, comme d’habitude, d’une jupe de couleur sombre, d’un chemisier blanc défraîchi et d’un chandail beige, dont la poche droite était déformée par un mouchoir qu’elle y avait certainement glissé. Sa mise était soignée, impeccable, comme toujours. Elle avait peigné méticuleusement ses rares cheveux argentés. Sa chambre était semblable aux autres jours, soigneusement rangée ; la bimbeloterie était à sa place, sur la table de nuit et la console. Toutes deux avaient été époussetées par ma collègue du matin, qui avait pris soin de ne pas déplacer d’un millimètre ces petits objets, témoignages d’un autre temps.
Même le poste de radio trônait près du lit, comme à l'accoutumée. Seulement, en ce début d’après-midi, il se taisait, curieusement. Son antenne déployée brillait dans un rayon du soleil, qui avait réussi à s’infiltrer dans la chambre par la seule fenêtre. Août était chaud, cette année-là, étouffant même. Les pensionnaires de l’hospice ne s’aventuraient guère à mettre le nez dehors, surtout en ce début d’après-midi. La plupart somnolaient dans leur fauteuil, au beau milieu du réfectoire qui, entre chaque repas, tenait lieu de salon ; d’autres préféraient se reposer dans leur chambre, comme Isabelle, qui, aujourd’hui, avait perdu son sourire.
Isabelle était une vieille dame de 97 ans. Une vieille dame toute menue, dont la démarche aérienne en surprenait plus d’un. Elle ne posait pas le pied sur le sol, elle l’effleurait délicatement. Elle n’allait pas bien loin, ses yeux ne pouvant plus la guider. Pour rester en forme, elle avait toutefois un secret, qui n’en était pas vraiment un : chaque matin, en écoutant les informations, elle prenait appui sur le lavabo, face au miroir qui lui renvoyait une image d’elle très floue, et pratiquait sa gymnastique. Couverte seulement d’une chemise en coton et d’un jupon blanc, elle s’accroupissait puis se relevait, en s’efforçant de bien respirer. Quand elle estimait que l’exercice était suffisant, elle faisait un brin de toilette et se pomponnait. Si elle se sentait observée, elle s’arrêtait et chassait sans délai l’indésirable. Elle faisait cependant en sorte que le personnel sache qu’elle prenait soin d’elle pour avoir la paix !
Depuis combien d’années résidait-elle en ce lieu ? Elle ne le savait plus. Sa mémoire capricieuse lui jouait des tours, disait-elle en souriant malicieusement. Car elle avouait bien volontiers qu’elle voulait se souvenir des belles choses, et uniquement des belles choses. Foncièrement optimiste, elle avait toute sa vie refusé de se laisser envahir par le spleen. Or, même si elle s’en défendait, ne pas avoir été mère était sûrement son plus grand regret.
Qui avait-elle épousé ? Là encore, elle feignait de ne plus s’en souvenir. Ses yeux presque aveugles prenaient alors une expression étrange, un mélange d’agacement et d’espièglerie. Et quand on lui demandait si elle fêterait ses cent ans, elle faisait mine d’être sourde. « Est-il décent de fêter un âge pareil ? » m’avait-elle confié dans un soupir.
Vieille dame indigne – c’est ainsi qu’elle s’amusait à se désigner – Isabelle était un personnage attachant, une dame tout à fait respectable. Elle avait le charme désuet des personnes d’une autre époque et l’élégance des gens pudiques. Elle ne se plaignait pas et fuyait les rabat-joie, préférant la solitude à la compagnie assommante, la jeunesse aux vieux ronchons. Les cris poussés par des voisins déments qui tout à coup déchiraient le silence la faisaient sursauter, elle qui était si sensible au timbre des voix. Elle passait ses journées à attendre paisiblement… Qu’attendait-elle du reste ? Une visite ? Une lettre ? Une micro-révolution qui viendrait bousculer gentiment sa vie bien ordonnée ?
En ce début d’après-midi, je savais que je ne retrouverais pas la vieille dame que je connaissais. L’équipe du matin m’avait informée, il me faudrait trouver les mots pour la réconforter un peu. Un tout petit peu… Isabelle était prostrée depuis le matin, depuis qu’on lui avait annoncé que son « petit frère », âgé de 90 ans, venait de mourir.
En cette journée radieuse d’août 1985, elle venait de perdre la véritable raison qui la maintenait en vie, le seul et dernier témoin de son existence d’autrefois, son petit frère. Désormais, elle serait définitivement seule au monde…

mardi 1 avril 2008

Gourmandise


Fruit chargé d’histoire et de symbolique, tu as traversé les époques pour arriver jusqu’à nous. Tu t’offres généreusement à nos yeux et à notre palais sous de multiples facettes.
Depuis toujours, tu nous présentes une vision de la féminité tendre, douce et parfumée. Ta rondeur est rassurante mais ta réputation sulfureuse de belle à croquer est tenace.
Fruit de l’amour mais aussi de la discorde, tu joues avec doigté sur la gamme des sentiments.
Fruit caméléon, tu deviens rouge quand tu fais ta timide ou qu’au contraire tu t’enhardis, jaune lorsque tu veux rivaliser avec l’or ou le soleil, verte si tu as peur ou que tu aspires à te fondre dans le paysage.
Inépuisable source d’inspiration pour tous, scientifiques, gourmets, artistes de tout poil, industriels ou encore politiques, tu ne cesses d’imposer ta présence replète et savoureuse.
Mitonnée de mille façons, c’est sans doute pour tirer vengeance de cet affront que parfois tu te livres à la moquerie. Ce n’est pourtant pas là ton seul privilège puisque tu le partages avec ta complice, la poire !
Quoi qu'il en soit, esquisse ou mets, tu ne finiras jamais de nous inspirer, la pomme…