vendredi 11 mars 2011

Miel, kiwi et citron

A pas cadencés et décidés, je me dirige vers le port. Je m’arrêterai avant de l’avoir atteint. Dommage. Un soleil franc darde ses rayons d’hiver et me rassérène. J’accélère de peur d’être en retard ; ai-je mis assez de monnaie dans l’horodateur ? J’ai vu large, pas de souci.

Après un bref instant d’hésitation, je pousse la porte vitrée. Une jeune femme m’accueille avec un sourire discret. Si j’ai rendez-vous à 10 heures ? Oui, absolument.

Je suis invitée à me rendre au premier étage. J’entre dans une pièce sombre, froide, un lourd rideau occultant la si belle lumière de ce matin-là. Les murs sont blancs et parfois violets, des photos osent les réveiller un peu, de magnifiques orchidées violettes sont posées sur une paillasse blanche, près d’une vasque, une table de torture trône au milieu de la pièce, recouverte de papier blanc. Je suis priée de revêtir le peignoir blanc qui m’attend sur la table. Je m’allonge, vaguement inquiète, très intriguée. Au-dessus de ma tête, encastrés dans un faux plafond, des éclairages crus me narguent sans vergogne. C’est l’heure de vérité, je présume.

Des mains expertes viennent alors appliquer sur mon visage des crèmes aux multiples senteurs. Je reconnais le miel, le kiwi ou le citron… Hum… Grumeleuses, onctueuses, mousseuses, fraîches ou légères, ces préparations magiques sont censées arrêter le temps qui s’imprime sur mon visage et rendre ma peau reconnaissante de tous les soins prodigués sur elle. Je ne bronche pas, je suis étonnamment docile, même quand les mains expertes s’acharnent avec férocité à vouloir débarrasser ma peau de ses impuretés. J’ai envie de grimacer mais je m’abstiens. Enfin, les mains retrouvent leur douceur et me laissent seule une dizaine de minutes. Ou une quinzaine, je n’en sais rien. Je perds la notion du temps. J’écoute la musique zen choisie avec soin par la propriétaire des mains expertes : des chants d’oiseaux, le murmure du vent, le ruissellement de l’eau, des cris feutrés d’animaux dans ce que je pense être la savane africaine se succèdent pendant de longues minutes. Le moment est propice à la détente, c’est vrai, mais j’apprécierais un peu plus de chaleur et de fantaisie.

Les yeux mi-clos, à l’écoute du moindre bruit, j’attends. A ce moment-là, je ne pense plus à ma voiture, à l’heure indiquée sur le ticket de stationnement, au rendez-vous important prévu dans l’après-midi. J’attends que les mains expertes me rendent ma liberté et me poussent vers la lumière du jour. J’attends de retrouver les camélias facétieux qui ont enfin entrepris de fleurir au fond du jardin – ils n’en font qu’à leur tête, eux aussi ! – et d’inciter les jonquilles timides à s’imposer sur le talus.

Je suis dehors, un tantinet déboussolée, presque étonnée d’avoir franchi le seuil d’un institut de beauté pour la première fois de ma vie. Il n’est jamais trop tard, me dis-je. Je ne sais pas si ma peau a aimé les soins dont elle a fait l’objet, l’avenir le dira, mais une chose est sûre : je suis restée une bonne heure sans rien faire, sans réfléchir, sans penser au quotidien. Un exploit !