vendredi 13 mars 2009

1,2,3...

Vendredi 13 mars, 8 heures et 58 minutes précises. Temps sec avec petits nuages et petit soleil, bref petitement agréable.
La tension est palpable. Ils sont venus, ils sont tous là, jeunes et vieux, seuls ou accompagnés, vêtus pour la plupart d’une gabardine ou d’une pelure chaude.
« On n’est qu’en mars, vous savez… ».
Ils attendent, rongent leur frein ou leurs ongles, trépignent, battent la semelle non pour se réchauffer mais pour se détendre, se cramponnent à leur bolide avec une énergie sauvage – j’exagère à peine. Ils scrutent leur montre, 8 heures et 59 minutes, relèvent le nez pour jeter un coup d’œil circulaire – la concurrence va être rude –, fixent droit devant eux les portes désespérément closes.
Je reste à l’écart pour mieux observer cet essaim inquiétant. Tiens ! on dirait James Dean, là-bas… Même faciès, même rage au ventre… À vos marques… feu ! Les fauves sont lâchés ! On joue des coudes, on se pousse, on se bouscule, on se faufile, on franchit le seuil du magasin, on entre dans l’hypermarché, on franchit les portiques et on crie victoire ! La chasse à la vie moins chère peut commencer !
Je ne regrette pas d’être venue, pour une fois, à l’ouverture. Louper ce spectacle fantastique, c’eût été vraiment dommage !

jeudi 12 mars 2009

Avec grâce

Avec grâce, tu parles de la vie qui passe, du temps qui t’échappe…
Avec légèreté, tu évoques sur des musiques enjouées des sujets graves, des choses qui te choquent, des gens qui t’agacent.
Avec élégance, tu balances des vérités qui dérangent.
Avec un brin de mélancolie, tu racontes des histoires qui n’appartiennent qu’à toi, des souvenirs inscrits dans ta mémoire, dans ta chair, pour la vie.
Avec douceur, tu réponds aux questions qu’on te pose, aux questions que tu te poses.
Avec une touche d’impatience, tu cloues le bec à l’impudent qui se permet un jugement tranché sur toi, toi qui n’es que nuance.
Avec désinvolture, tu rejettes le strass et les paillettes, tu veux du vrai, de l’authentique, du sincère.
Avec humilité, tu dis que finalement tu n’as rien à dire, que tout a déjà été dit, puis tu ajoutes, avec un petit sourire, que ce qui compte, c’est la façon de le dire.
Avec pudeur, tu t’excuses presque d’être ce que tu es, un homme aimé et talentueux.
Avec lucidité, tu dévoiles qui tu es, un sage révolté, un calme tourmenté, un sensible malicieux.
Avec infiniment de grâce, tu refermes la parenthèse, tu pars revisiter tes pensées, ton monde intérieur, peuplé de réminiscences, d’émotions, de colères.
Avec regret mais sous le charme, nous te quittons, tes mélodies trottinant dans nos têtes comme des parfums délicatement enivrants…

lundi 9 mars 2009

Fissure

J’aime la rugosité, beaucoup moins ce qui est lisse. Curieusement, c’est en regardant un reportage sur une artiste amoureuse de la laque et en écoutant ses explications que je me suis fait cette réflexion. Ce qui est lisse ne m’attire pas. Est-ce à cause de l’effet miroir dans lequel je ne veux pas me mirer ? Est-ce l’aspect trop parfait des supports lisses qui me dérange ? Est-ce l’impossibilité de pouvoir me raccrocher à quelque chose, à une aspérité, comme le ferait un alpiniste, qui m’inquiète ?
Ce dont je suis sûre, c’est que les personnes lisses, sur lesquelles les émotions semblent glisser, qui ne laissent rien paraître – ni irritation, ni impatience, ni entrain –, me font fuir. D’aucuns admirent leur self-control, cette maîtrise de soi dont parfois j’avoue rêver en silence. Mais je me dis aussi que sans doute, derrière cette armure clinquante (je préfère utiliser, dans ce cas précis, le vocable « armure » à celui de « carapace » qui me paraît plus rêche), derrière cette armure, donc, destinée à se protéger de l’ennemi potentiel ou à l’inverse, à l’impressionner, se cache un individu pas si sûr de lui, avec ses failles et ses doutes, avec ses contradictions, avec son « humanité », en somme. La richesse de l’homme est là, elle réside dans toutes ces contradictions. J’aime celui qui est empêtré dans ses paradoxes, qui se cherche, tâtonne, se trompe, s’interroge, suppose, affirme pour mieux se « désaffirmer ». Celui-là me plaît. Car en fin de compte, il me rassure, moi qui ne suis qu’un concentré d’incertitude et de perplexité. Il me rappelle que je ne suis pas seule à ressentir les autres, le monde qui m’entoure, avec des pensées qui s’entrechoquent au point d’avoir la désagréable sensation d’être désarticulée, la tête d’un côté et le corps de l’autre ! Parfois, je m’entends dire, je prétends même, que les personnes lisses me reposent et m’inspirent confiance. Or, je dois bien le reconnaître, cette confiance est toute relative et très souvent éphémère. Je ne parviens pas à croire qu’on puisse être un bloc de certitude, qui jamais ne chancelle, qui jamais ne se fissure. En tout cas, si ces personnes existent, je ne les jalouse pas.
J’ai bien envie de faire mienne cette phrase de René Char : « Un homme sans défauts est une montagne sans crevasses. Il ne m’intéresse pas. » Oui, décidément, cette pensée me plaît…