vendredi 18 avril 2008

Voiture 10

Brest, 8h48. Le train quitte la gare, s’ébranle paresseusement, fatigué sans doute à l’idée d’accélérer. Sa mollesse permet aux voyageurs de profiter quelques instants encore de la vue sur la rade. Après les derniers silos, les voiliers du port de plaisance… Les rayons du soleil lèchent les flots et s’offrent généreusement aux occupants de la voiture 10.
Chacun semble plongé dans ses pensées, dans une torpeur bienfaisante. Départ sans excitation, sans fièvre, sans tristesse, à l’image de ces amoureux qui se sont séparés avec une retenue presque suspecte.
Le soleil s’invite sans frapper, envahit largement le wagon et réchauffe les corps et les âmes. On prend ses aises, on s’installe sur les places restées vacantes, on s’étire péniblement en bâillant. Disciplinés, les téléphones se taisent et renoncent à vibrer. Même les moussaillons sont encore calmes, gagnés par la quiétude de la voiture 10.
Soudain, surgissant de nulle part, deux tignasses blondes débarquent sans crier gare ! La mère et la fille jettent leur dévolu sur deux sièges situés de l’autre côté du couloir en se chamaillant. Qui occupera la place côté fenêtre ? Le sujet est grave et mérite d’être abordé bruyamment.
À peine assise, la petite, qui rêvait certainement de ne rien faire, se voit imposer un quart de lecture… à voix haute. Et la mère de vociférer à la moindre hésitation de sa fille, de la reprendre à l’envi et d’en faire profiter toute la voiture 10 ! Et le manège de durer, de durer… jusqu’à l’assoupissement de la gamine, assommée par le verbiage incessant de sa mère.
De nouveau, ô miracle !, le silence est de retour, accueilli avec soulagement et gratitude par des voyageurs agacés mais polis. Ambiance feutrée, vieux os réchauffés par le soleil insistant, léthargie bienfaisante… Le train ronronne, content d’avoir enfin atteint sa vitesse de croisière.
Je ferme les yeux pour savourer la sérénité ambiante et trente secondes après, mes oreilles sont titillées par un bruit de papier froissé, vraisemblablement un paquet de chips qu’on ouvre sans délicatesse. La tignasse blonde a faim ! C’est alors que commence le ballet des scrunch-scrunch-scrunch, des doigts fouillant nerveusement le sachet, des mandibules qui s’activent, des incisives qui claquent…
« Ben, on n’est pas arrivé à Paris ! » soupire l’homme assis juste derrière moi…

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