vendredi 12 février 2010

Si tu n’as rien à dire, tais-toi !

La violente sinusite qui m’enquiquine est-elle responsable des propos péremptoires que j’ai tenus avant-hier ? Je ne sais. Toujours est-il que je m’entends encore asséner à mon interlocutrice un tantinet interloquée : « si vous n’avez rien à écrire, alors n’écrivez rien ! ».
Ce n’était guère aimable, j’en conviens, mais il fallait que je le dise. J’en ai assez de lire des proses vides et insipides, des mots juxtaposés maladroitement, des diarrhées verbales qui ne racontent rien, qui noient le poisson, qui ne me font même plus sourire.
Quand j’étais jeune (la « vieille » qui s’exprime ici parle d’un temps bien révolu, celui de son adolescence studieuse), j’aimais écrire des phrases longues, amples, qui se déroulaient sur plusieurs lignes. J’aimais laisser couler l’encre de mon stylo plume sur la feuille, juste pour le plaisir de la voir se noircir avec des mots qu’à l’époque je ne choisissais pas toujours. Je me revois confier à mon journal tous les tourments qui me rongeaient, toutes les colères que je ne parvenais pas à extérioriser, dans un style libre, généreux, bavard.
Il y a longtemps, j’ai brûlé mon journal et jeté à la poubelle le style qui allait avec. Je ne l’ai pas fait avec colère ni honte. Non, ce journal m’a aidée pendant un temps, il m’a accompagnée comme un ami fidèle. Il a accepté d’entendre toutes les confessions d’une adolescente timide et inquiète. Il a supporté ma prose parfois gémissante et volubile, qui aujourd’hui n’est plus la mienne. Pourquoi d’ailleurs ? Parce que les phrases qui n’en finissent pas se délitent peu à peu pour devenir une espèce de bouillie indigeste. Parce que j’ai besoin de mots qui m’accrochent, me réveillent et m’agacent plutôt que de phrases qui m’endorment. Parce que je préfère lire un texte puissant, empreint d’émotion, de révolte, de poésie… à un discours-fleuve conventionnel où les mots sonnent creux.
Evidemment, lorsque ce que je suis amenée à lire un résumé, un compte rendu de réunion ou encore une discussion, je ne m’attends pas à une profusion de sentiments ou d’accents poétiques. C’est même tout à fait contre-indiqué. Mais je suis bien souvent dépitée devant ces phrases alignées les unes à la suite des autres, sans lien ni relief. Rien ne retient vraiment mon attention, tout est raconté de façon monocorde, comme si écrire était une corvée. « Corvée » au sens moyenâgeux. « Tu veux que je te donne mon avis par écrit ? Tu veux que j’aie des arguments et qu’en plus, je te les écrive ? Eh bien, les voilà ! En vrac ! Prends ce qui te plaît ! Fais le tri ! »
J’ai le sentiment que moins on a envie d’écrire, plus on écrit ! Plus on gribouille ! Plus cet acte d’écrire est considéré comme une contrainte, plus le rédacteur perd le sens même des mots et se laisse aller dans des tournures longuettes et assommantes, en oubliant tout discernement. L’autre, lecteur ou correcteur, en veut pour son argent ? Pas de problème ! Il y a manifestement confusion entre poids des mots et poids de l’encre. L’un ne vaut pas l’autre.
Je suis sans doute devenue exigeante, moins patiente aussi. Je ne suis plus disposée à lire tout ce qui se présente. J’attends peut-être trop des personnes que je forme ; en tout cas, je me pose souvent la question. Je sais bien que les épreuves écrites des concours, que les comptes rendus de réunion ou de mission, sont des exercices difficiles, requérant méthode et entraînement. Je sais bien aussi qu’à vingt ans, on a écrit le plus souvent par obligation. La jouissance qu’on peut éprouver à ciseler un texte à l’instar d’un orfèvre, on ne la découvre peut-être que plus tard… ou jamais… J’ose l’optimisme. Je veux croire que parmi tous les messages d’encouragement que j’ai délivrés, certains seront entendus… J’aime à le croire…

3 commentaires:

Phèdrienne a dit…

C'est pourtant un élément crucial, une question de fond. Ecrire est un acte viscéral, puissant qui puise aux sources de l'intime oui, mais doit en sortir. S'il n'est qu'un jeu, un réservoir à trucs littéraires brillants façon oulipo, il perd de sa substance et se délite. Le langage ne doit pas être creux mais plein, un appleà l'autre et non une redondance de son nombril, (même si ce dernier s'y niche avec insistance!). J ene doute pas que tes auditeurs auront percuté à cela et que tôt ou tard, au moins quelques uns d'entre eux trouveront grâce à toi leur langage....

Laurence a dit…

Je suis à la fois optimiste et réaliste. Certains sont sensibles à mes propos, ils les entendent. Toutefois, s'ils parviennent un jour à écrire de façon plus sincère, plus réfléchie, plus élégante aussi, je ne le saurai pas. C'est frustrant mais c'est ainsi. Je côtoie ces personnes pendant quelques jours ou quelques mois et après, je n'entends plus parler d'elles...

Phèdrienne a dit…

Oui, mais au moins tu auras semé de belles graines !
Amitiés à toi