mardi 30 décembre 2008

Arthur et les effarés

Ce matin, lorsque j'ai ouvert la porte vitrée de la boulangerie, une odeur de pain chaud a délicieusement chatouillé mes narines. Quel contraste avec le froid glacial de la rue !
En attendant mon tour, mon regard s'est posé sur un minuscule yorkshire, tout tremblotant, tout rachitique, qui, en toutou bien dressé, attendait patiemment son maître à l'extérieur de la boutique. Il me faisait pitié, ce pauvre chien, avec ses yeux larmoyants. Avec son air si docile, si résigné, si effaré... Et c'est là que - n'y voyez pas de comparaison indécente - je me suis souvenue de ce poignant poème rimbaldien...
Les Effarés

Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s'allume,
Leurs culs en rond,


A genoux, cinq petits, - misère ! -
Regardent le Boulanger faire
Le lourd pain blond.


Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pâte grise et qui l'enfourne
Dans un trou clair.

Ils écoutent le bon pain cuire.
Le Boulanger au gras sourire
Grogne un vieil air.

Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge
Chaud comme un sein.

Quand pour quelque médianoche,
Façonné comme une brioche
On sort le pain,

Quand, sous les poutres enfumées,
Chantent les croûtes parfumées
Et les grillons,

Que ce trou chaud souffle la vie,
Ils ont leur âme si ravie
Sous leurs haillons,

Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres Jésus pleins de givre,
Qu'ils sont là tous,

Collant leurs petits museaux roses
Au treillage, grognant des choses
Entre les trous,

Tout bêtes, faisant leurs prières
Et repliés vers ces lumières
Du ciel rouvert,

Si fort qu'ils crèvent leur culotte
Et que leur chemise tremblote
Au vent d'hiver.

Arthur Rimbaud

1 commentaire:

Phèdrienne a dit…

Joli cadeau fin et délicat comme toujours Laurence, merci pour ces mots pleins de sens...